mercredi 18 juin 2008

Sarah


Nous avions dormi ensemble, moi avec lui, l'homme sombre, sa grande main accrochée sur mon sein. Je me demandais s’il sentait la musique régulière de mon coeur qui battait plus lentement qu’à l'habitude. Je retenais ma respiration, pour ne pas le déranger, pour ne pas déranger l'osmose de nos deux corps. Je me suis endormie comme cela, sans respirer, avec juste son souffle chaud qui caressait mes cheveux. Quand il s'est réveillé, je rêvais encore, c'est le bruit de ces docks sur le parquet que j'ai entendu, avec celui de la grosse porte qui s'est mis à gémir pendant presque une éternité avant de se refermer comme un coup de feu sur l'appartement sans vie. Décider à me lever, j'ai ouvert les volets : les nuages essuyaient les larmes roses du soleil, qui de ses rayons épousait la cime des arbres. Le maquillage de la veille avait coulé. Cela ne semblait pas me déranger le moins du monde, j'aimais grossir les traits de mon visage jusqu'à l'extrême, jusqu'à ce que l'on ne me voie plus, être caché derrière cela, ce maquillage. Mais quand j'étais heureuse, plus fragile ou encore plus amoureuse j'aimais dévoiler ce visage, laissé le noir coulé, les cernes apparaîtrent. Ressembler à ces clowns tristes que l'on voit dans les cirques, maquillé pour rire, et qui pleure pour rire, et qui se tue pour rire, juste pour ce plaisir pervers de jouer. Ce maquillage faisait partie intégrante de mon visage, impossible de vivre sans. Tout à coup, j'ai eu besoin d'air, j'étouffais, j'ai attrapé des cigarettes, et pour piéger la solitude j'ai pris mon inséparable casque. Je suis sortis de mon appartement. Dans ma grande veste de soie rose, je déambulais sur mon grand boulevard, en suivant le rythme de cette effroyable piano, ce véritable instrument de torture à lui et à moi. (Il nous faisait pleurer chaque fois qu’on l'écoutait tous les deux, et l’on adorait cela) Je ne faisais plus attention à rien qu'a cette musique, tout mon être se donnait à elle, ma démarche ne devait briser aucun accord. Pourtant quelque chose me manquait, une habitude peut être que j'avais, quand je passais a cet endroit. Voilà j'ai trouvé, Gisors, mon vieux Gisors, une sorte de "sous homme" comme il se traitait lui-même, un clochard, un peu magicien a ces heures. Un soir d'ivresse, où j'ai beaucoup pleurer, il m'avait consolé, et avait lu dans les lignes de ma main mes vies passées. Depuis nous échangions de très beaux sourires. Pourquoi n'était-il pas là ce jour-là, j'aimais les petits rendez vous du matin que l'on avait tout les deux et qui ne consistaient souvent qu'à un sourire ou quelquefois un clin d'oeil, mais qui ressourçait. Il était d'habitude toujours là, adossé à ce parcmètre. Je coupe ma musique, j'enlève mon casque, je regarde autour de moi, je suis face à face à un phénomène étrange, non seulement Gisors n'est pas là, mais le boulevard toujours embouteillé, avec ses piétons qui se bousculent pour arriver les premiers on ne sait pas très bien où, est complètement désert. Je hurle pour briser le silence insoutenable du vide, je me mets à courir dans tous les sens. Tout à coup, je m'arrête, je suis pris d'une sueur froide, mes doigts tremblent, mes genoux aussi. J'ai froid. J'ai chaud. Je transpire abondamment. Mes oreilles commencent à siffler. Et alors, j'entends une toute petite voix de fille, celle que j'avais enfant, elle vient étrangement d'abord de mon ventre, elle me chatouille gentiment pour me prévenir de la suite, elle chuchote: "Sarah... Sarah..." Et ensuite, comme en écho, une autre voix semble répondre, elle est plus forte, plus assurée, et cette fois ci elle vient de très loin, je ne saurais pas dire d'où, sûrement du ciel. Cette voie n'a plus rien d'humaine : elle hurle, faisant résonner les fenêtres du boulevard, martelant chaque lettre de mon prénom : "SARAHSARAHSARAHSARAH......." Je m'effondre par terre, alors que les vociférations du mal décomposaient mes organes. Je m'engage dans un combat intérieur, celui de retenir mon âme dans mon corps. C'est le combat final et désespéré de chaque homme, chacun pourtant aimerait désobéir à cette règle divine, celle de la séparation définitive de l'âme rappelé au ciel et du corps qui doit rester sur terre. Mais cette séparation pour moi n’est pas juste, elle est trop précoce, alors je me bats pour empêcher cette ascension, en vain. Mon Esprit flotte déjà au-dessus de ce qui était moi, ce corps de jeune femme, avec ce visage fardé et ces yeux qui ne vivent plus. La mort qui est venue me chercher à cesser de crier, elle a été très vite remplacé par le vacarme du boulevard qui a repris son cour normal, comme si il n’avait jamais été vide, comme si j’avais été victime d’une hallucination. Une trentaine de personnes s’étaient agglutinées autour de mon corps, certains l’agitaient comme une marionnette, c’était cela, je n’étais plus qu’une marionnette. Gisors qui lui aussi avait brusquement réapparu me tenait la main sans que je ne sente plus rien, l’impression était très étrange. Je l’entendais de loin répéter d’un ton grave : Sarah, Sarah.
J’ai eu le temps de suivre quelques heures encore ce corps, cette poupée de cire qui commençait déjà à pourrir, trimbaler sur un brancard par des hommes sereins, vêtus de blouses blanches, traverser des longs couloirs qui sentent les fleurs des pompes funèbres. Voilà c’est fini : ils viennent de déposer le voile blanc immaculé sur moi.



- Tu ne dois pas repenser à cette vie Maxime, elle ne t’appartient plus, ce n’est plus la tienne… Tu es quelqu’un d’autre maintenant.

(photographie : autoportrait de Cindy Shermann)

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